Apologie des proverbes 1 sept. 2004, 23:12
1 sept. 2004, 23:12 [murielle_m]
"Qui se ressemble s'assemble"
C'est très vilain, de se moquer des proverbes -à part ceux qui concernent les Saints ou la météo ou les deux ... Bon, d'accord, j'admets, ça en fait un bon paquet... chut ! - d'autant que celui-ci, je le constate de plus en plus, est loin d'être faux. C'est VRAI, ceux que l'on choisit d'aimer, ceux que l'on aime le plus ont, à bien y réfléchir, des points communs. Vient de me sauter à la mémoire une petite phrase qu'un ami m'a dite il y a fort peu de temps : "ça s'use si on s'en sert pas". Non, bien que ça ait l'apparence d'un défi tout masculin à l'ordre naturel des choses, non : ça n'est pas aussi rigolo que ça en a l'air. Il était question, ici, de mes couteaux mal aiguisés et l'on peut donc considérer que... l'idée se tient ! Mais ce qui me plonge dans des abîmes de réflexion, c'est que cette même phrase, je l'avais déjà entendue d'une autre bouche, il y a bien des années ; un autre ami, qui me parlait de batteries de voitures, et qui m'a également affirmé que "ça s'use si on s'en sert pas" (d'un ton un peu moins moqueur, quand même... )
Entre ces deux phrases, dix ans, à peu près se sont écoulés. Une amitié est morte, une autre est née, probablement plus forte si cest possible, et qui comprend mieux à la personne que je suis aujourdhui. Et je ne peux mempêcher, depuis le surgissement de ce souvenir, et dune anecdote qui y est attachée à vie, je ne peux mempêcher de "voir" les points communs de ces deux amis. Il y a onze ans, je passais mes premières vacances avec Christophe -le "celui" de la batterie. Nous étions à Londres, à bavasser tranquillement sur les bords de la Tamise. Il entrait en Khâgne, dominante philosophie, et moi en deuxième année de DEUG : il avait découvert Nietzsche, cette année-là, et entrepris de me faire apprécier ce Monsieur. Cétait très très sérieux, et je devais écouter dune oreille insuffisamment attentive, puisque je ne me souviens plus dun traître mot de ses ... découvertes. Je tiens dailleurs à faire officiellement, hic et nunc, mon mea culpa le plus sincère. Probablement devait-il être parvenu, dans son discours, à la révélation des "mystères dEleusis" nietzschéens, si je me fonde a posteriori sur lensemble de la scène ; en tout cas, cela ne pouvait quêtre très sérieux ! Et moi, dun air de lassitude fatiguée (du moins je limagine, car cest le sentiment dont je me souviens), jai coupé son élan discursif : "Pfffff ! Quest-ce que jai mal aux pieds !"
Jamais je noublierai sa tête à ce moment-là ! Ce mélange détonnement, de déception, de rire et dindignation dans des yeux tout ronds, cest indescriptible !! Il sest arrêté net : "Mais ?? Mais mais ??!! Tu te fous de moi ?? Depuis tout à lheure, técoutes rien du tout ???!!"
Et je riais, je riais, je ne pouvais plus marrêter, et il sindignait davantage de seconde en seconde, ce qui augmentait encore lhilarité... A tel point, dois-je le dire, que jen ai fait pipi dans ma culotte (de ça aussi, je peux continuer à en rire, car nous nétions pas loin de la maison).
Cet ami, Christophe, cela fait quatorze ans que nous nous connaissons... Je lui dois parmi les meilleurs moments de ma vie, je lui dois d'avoir connu l'amitié, la confiance, la spontanéité, le rire, la complicité... Nous étions proches à tel point que nous savions exactement à quoi lautre pensait sans nécessité de dire. Et tout cela est mort, ou presque. Parce que ... la vie change, les gens changent, et surtout, surtout... parce que le temps est assassin... Eh oui, un autre proverbe, qui nest pas faux non plus. Jai revu Christophe, hier après-midi ; depuis des années, nous navions pas été seuls pour parler. Jai enfin pu lui dire, calmement et sans détours (cest le plus difficile...) que je ne nous considérais plus comme des Amis : des copains, des très bons copains sans doute, si jamais une échelle de valeur est exigée, mais plus des amis. Se voir trois à quatre fois par an, se téléphoner à peine davantage, et pour se raconter quoi ?, pour moi, cest insuffisant. Non, il nest pas un "grand tchateur internaute", pas même un petit, et nous ne communiquons jamais entre les rares fois dont je viens de parler. Je crois quil na sincèrement pas compris mon point de vue ; il ma dit : "Mais ça change rien !" Si, ça change ; ça a tout changé, jai changé, il a changé, et nous nen parlons jamais, nous ne nous en apercevons pratiquement pas, car tout est maintenant superficiel. Lorsquil ny a plus communication, on reste dans la superficialité, on ne sent pas lautre changer, et pire, on ne sent plus les soucis, les peines, les joies de lautre, pour les partager. Ce nest plus de lamitié, cest du copinage... Ce constat me rend triste, il meffraie. Jai perdu un Ami, je souhaiterais ne jamais revivre ces moments, je souhaiterais que ce proverbe-ci "LHistoire est un éternel recommencement" soit inapplicable à mon histoire, je souhaiterais que les points communs de mes amis ne conduisent pas aux mêmes effets... Je souhaiterais ...
Alors je maccroche à ce qui les distingue, ce petit rien de caractère que je ne trouve que chez Christophe et qui mattriste chaque fois davantage, mais bon... Je nai jamais considéré que passer un moment avec ceux que jaime était insuffisant en soi ; quels que soient lidée de sortie, le prétexte à se rencontrer, qui me sont présentés, à moins dun autre engagement, je ne les ai jamais refusés sous prétexte que "ça me disait moyennement". Cest une question de priorité : le plus important est-il le film, lexposition, le musée annoncés, ou bien le moment passé AVEC les aimés ? Pour moi, la réponse est évidente ; pour Christophe, non. Pendant des années, jai proposé des sorties qui lui disaient "moyennement", sans obtenir à la place une contre-proposition que, moi, jaurais acceptée (et avec plaisir, même). A présent, il ny a plus de suggestions, on ne se voit plus que pour quelques dîners quasi obligatoires comme nos anniversaires, et lon a parfois du mal à trouver quoi se dire.
Et jai la prétention de penser que ceux qui tiennent à moi, aujourdhui, autant que je tiens à eux (faut-il que je tienne à certains pour me taper du Annette Messager, bon sang ! ), ont davantage de plaisir à me voir quà tergiverser, voire à renoncer, suite à un choix de film ou de musée. Cest peut-être dur, ce que je viens décrire, car jai parlé dune personne qui a compté démesurément pour moi ; mais ça fait très mal, aussi, dêtre systématiquement mise dans lun des plateaux de la balance, face à une pauv expo temporaire, ou un film mal coupé... Jai cessé de pleurer sur lagonie de cette amitié ; nous ne sommes plus amis.